La théorie dite « GNS » (pour Gamism-Narrativism-Simulationism, ou en français presque aussi barbare Ludisme-Narrativisme-Simulationnisme) est un peu la tarte à la crème des forums de jeu de rôle. Mise en forme par Ron Edwards à la fin des années 90 sur l’emblématique forum The Forge, cette théorie avait en gros pour objet la classification des modalités de jeu, des différentes façons d’aborder une situation pendant la partie, avant de rejoindre la théorie globale du Big Model (dont nous ne parlerons pas ici). L’utilisation d’un vocabulaire prêtant à confusion, l’incompréhension, la mauvaise foi aussi, ont divisé les rôlistes et créé des myriades de posts tournant en rond, au point que l’auteur lui-même a fini par passer à autre chose et demander qu’on le laisse tranquille.
Je suis monté au front un certain nombre de fois, me répétant encore et encore, pour tenter d’en donner mon interprétation et rejeter l’idée que « narrativisme » soit synonyme de « jeu intello-prétentieux où on a des bidules mécaniques pour intervenir sur l’histoire mais on jouait déjà au jdr comme ça avant sans vos machins alors pourquoi se prendre la tête ». C’est sans doute pourquoi j’ai décidé d’enfin écrire un article dessus. Mon but n’est absolument pas de détailler, décrypter, expliquer la théorie ou ses bien-fondés. D’autres font cela très bien. Je voulais juste apporter des éléments concrets, des exemples, pour essayer de dédramatiser la chose. Vulgariser quoi, quitte à faire quelques raccourcis légers.
Posons d’abord un principe essentiel : ludisme, narrativisme et simulationnisme décrivent des tendances et pas des absolus. Dans une partie de jeu de rôle, ces éléments sont mélangés à doses plus ou moins fortes. On ne peut donc pas les trouver à l’état pur dans la nature – pas de jeu narrativiste, de partie ludiste, de joueur simulationniste. Juste des orientations plus ou moins fortes, qui varieront certainement d’un moment de la partie à un autre. Quand une tendance est clairement mise en avant, tous les joueurs savent où ils vont ; quand toutes les tendances se mélangent à doses égales pendant un certain temps, c’est l’embouteillage, on ne sait plus pourquoi on joue ensemble, le MJ doit tricher ou calmer les joueurs, ou bien tout le monde s’engueule ou fait la tronche dans son coin (je donne un ou deux cas de problèmes de mélange ci-dessous).
Pour mon premier exemple, je voudrais prendre un univers de jeu bien connu, celui de Star Wars.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le ludisme : la compétition sera mise en avant. La Rébellion contre l’Empire, que le meilleur gagne ! Le Rebelle qui abattra le plus de chasseurs TIE aura remporté la mise ! Attention néanmoins, la contrepartie à une telle orientation compétitive, c’est qu’il doit être possible de perdre. L’Étoile noire ne sera peut-être pas détruite, et le monde ne sera pas forcément libéré. Aux joueurs de faire montre de chance ou d’intelligence pour l’emporter. Les règles auront pour objectif d’offrir un défi relativement équilibré. Si certains joueurs vous disent qu’ils ne jouent pas à Star Wars pour se voir responsables de milliers de morts à cause d’un plan mal équilibré, c’est qu’ils ne sont pas vraiment dans cette orientation.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le simulationnisme : la partie s’efforcera de reproduire au mieux l’essence de Star Wars, son « canon esthétique ». Cela signifie que les gentils gagneront toujours à la fin, que les héros seront bons, les adversaires méchants, et que les troupes de choc ne seront que de la chair à canon sans psychologie. Si le jedi connaît la tentation du côté obscur de la Force, ce ne sera que pour mieux le rejeter à la fin. On est pas là pour réfléchir aux conséquences morales liées au meurtre de milliers de techniciens suite à l’explosion d’une base stellaire, ni pour plancher quatre heures sur un plan d’action crédible (si vous ne me croyez pas, revoyez le Retour du Jedi). Les règles proposeront souvent un moyen pour que l’échec ne soit qu’une source de rebondissements ; sans cela, le MJ se sentira contraint de tricher pour « respecter l’esprit des films » et éviter le massacre.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le narrativisme : on entre ici dans les choix moraux et les méandres de l’esprit humain. Le jedi succombera-t-il au côté obscur ? Le jeune contrebandier parviendra-t-il à séduire la princesse, et si oui quel en sera le prix ? Quelles seront les séquelles des tortures inhumaines qu’il aura dû subir – aura-t-il dénoncé ses amis de l’alliance ? Ce qui compte ici, c’est moins la victoire ou l’échec face à l’Empire que les conséquences que cela aura sur les personnages. Il est tout à fait possible d’avoir des règles qui décrètent que la victoire contre l’Empire est à portée de main, tout en exigeant du héros des actes peu reluisants ou la perte d’un être cher pour triompher. S’il est tout à fait possible de faire du drame cornélien dans l’univers étendu, ce n’est pas forcément ce que vos joueurs veulent.
Prenons un autre exemple plus complexe, le Seigneur des Anneaux :
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le ludisme : on est dans la lutte contre Sauron, les combats contre les orcs, éventuellement même l’affrontement entre la volonté d’un être libre et celle de l’Anneau. L’univers de Tolkien étant moins pulp que celui de George Lucas, il est moins choquant d’imaginer ici que les « gentils » perdent à la fin. Frodo a une chance de résister à l’Anneau ou de jouer finement pour triompher, mais il peut aussi plonger la Terre du Milieu dans les ténèbres.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le simulationnisme : la question est complexe. Le canon esthétique du Seigneur des Anneaux est bien plus subtil que celui de Star Wars. Une tendance simulationniste mettrait sans doute l’accent sur un certain réalisme « physique » dans le traitement des blessures et de la fatigue du voyage, mais récompenserait aussi un certain réalisme « psychologique » – le détachement poétique des elfes, le fatalisme des humains, l’avarice des nains, etc. (je renvoie ceux qui connaissent au jeu Burning Wheel de Luke Crane qui, sans le dire ouvertement, donne un très bon aperçu de ce type d’approche). Frodo succombera à l’Anneau, car ce dernier est tout-puissant, mais un acte de miséricorde finira toujours par payer, et l’eucatastrophe tolkiennienne sera garantie. Pas question de jouer finement et de faire porter l’Anneau par des aigles géants qui parlent ici !
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le narrativisme : on entre de plein pied dans la corruption de l’anneau – ses effets, le risque de perdre sa volonté, de voir ses propres amis vous le voler. Mais aussi dans le choix d’Aragorn, tiraillé entre sa lignée maudite et son destin héroïque ; ou bien dans l’amitié improbable entre Gimli et Legolas ; ou dans ce qui pousse un pauvre hobbit à quitter son doux foyer pour l’aventure, ou à choisir de se mettre au service d’un roi humain. Si Frodo ne résiste pas à l’Anneau, il devra payer de sa personne pour parvenir tout de même à le jeter dans la lave, et les séquelles seront longues à guérir.
Allez ne nous arrêtons pas là, et imaginons qu’on veuille adapter un roman policier en jeu de rôle :
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le ludisme : pas de concours de b…iceps ici, mais de méninges. Le but est de résoudre l’énigme du meurtre, de se montrer plus malin que l’assassin. Par des jets de dés éventuellement, mais plus vraisemblablement grâce aux « petites cellules grises » des joueurs eux-mêmes. Il est tout à fait possible que ce soit le MJ qui doive dévoiler le secret à la fin, mais on considérera que les joueurs auront alors perdu. C’est le mode idéal pour le detective novel type Poirot ou Sherlock Holmes. En cas d’embouteillage, certains joueurs soupireront à l’idée de passer une heure à réfléchir aux méandres de l’intrigue.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le simulationnisme : le but ici peut être simplement de reproduire le style particulier d’un Agatha Christie, avec ses grands hôtels des années 20, ses retournements de situation, sa révélation dans le petit salon devant les coupables rassemblés. Si l’intrigue compte toujours, elle progresse presque indépendamment des joueurs – les PJs trouvent toujours les indices nécessaires à une progression dramatique satisfaisante. Bien des scénarios d’enquête se déroulent de la sorte : on fait semblant de stimuler l’intelligence des joueurs, mais dans les faits on a surtout envie de leur offrir des surprise sans perdre de temps à les regarder gamberger. En cas d’embouteillage, certains refuseront que la solution leur soit offerte sur un plateau, et d’autres auront envie de mettre en avant les méandres de leur personnage.
- Si les joueurs, le scénario et/ou les règles mettent l’accent sur le narrativisme : jusqu’où sera prêt à aller le détective ? Que fera-t-il s’il découvre que le meurtrier est sa fille ou bien encore celle qu’il aime ? Ce type d’approche se moque bien souvent de l’énigme et s’intéresse plus à ses conséquences. C’est le mode idéal du roman noir, lorsque le détective n’est plus extérieur au crime mais subit de plein fouet ses effets.
Quelques liens pour ces fous qui ne sauraient se contenter de vulgarité :
- « Le GNS est un outil », un article de Frédéric Sintes
- System Does Matter : le premier article emblématique de la théorie GNS (1998)
- Sa traduction en français sur le site Places to Go, People to Be
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