Cet article peut être considéré comme la suite, le prolongement de l’article sur le rire méta en jeu de rôle.
La méta-fiction
Qu’est-ce que la méta-fiction ? De la fiction qui fait référence à son statut de la fiction, bref qui parle d’elle-même. Ce peut être par exemple ce qui se passe quand on montre soudain les ficelles au public, quand le héros se rend compte qu’il n’est qu’un personnage de fiction et essaie de s’insurger contre son sort – des titres comme The Truman Show, L’Incroyable Destin de Harold Crick viennent tout de suite à l’esprit, mais il en existe bien sûr des plus subtiles. Cela fait souvent frétiller les vieux spectateurs fatigués que nous sommes, qui refusons de prendre au sérieux une fiction et apprécions le coup de coude du créateur à notre égard.
Le jeu de rôle est, essentiellement, une activité méta-fictionnelle. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que nous, rôlistes, sommes à la fois les auteurs et les spectateurs de la fiction que nous créons et découvrons tout à la fois. Si vous me permettez l’analogie, nous nous retrouvons dans une position proche de celle d’un pool de scénaristes. Ceux-ci doivent nécessairement parler de la fiction qu’ils sont en train de créer, des motivations des personnages, de ce qui se cache derrière les événements, du rythme, de la cohérence interne à l’histoire, etc. Après tout, il faut bien qu’ils se mettent un minimum d’accord, sans cela la copie finale aura un aspect pour le moins chaotique. Pour avancer à peu près dans le même sens, les joueurs de jeu de rôle doivent ainsi communiquer sur ce qui se passe, poser des questions, demander des précisions, exiger des corrections. Les règles elles-mêmes renforcent d’ailleurs cette dimension : elles constituent une structure sous-jacente à la fiction mais ne sont pas la fiction elle-même.
Le mythe du jeu de rôle « pur »
Bien sûr, certains estiment que cette dimension méta-fictionnelle nuit au plaisir. Ils trouvent plus belle une partie où les décisions sont prises dans une sorte d’harmonie quasi-miraculeuse, où les décisions de chacun s’emboîtent les unes à la suite des autres pour créer une parfaite composition, cela sans qu’aucune concertation aussi verbale que grossière ne vienne tout gâcher. Hélas, le monde réel déçoit bien souvent ces idéalistes en ne leur offrant que cacophonie et trahison : les décisions de machin s’opposent à celles de truc, les propositions d’untel n’ont pas été comprises correctement par bidule…
Pour compenser cette dissension naturelle ils donnent tous les pouvoirs à un chef d’orchestre qu’ils appellent meneur de jeu (lequel se trouve être souvent eux-même, par pure coïncidence). Ce meneur, pour s’assurer que la partie cesse de tourner autour de discussions méta et donner l’illusion de perfection d’un film ou d’un roman, fait alors son possible pour empêcher les autres de poser trop de questions en les plaçant dans des situations où leurs choix sont aussi limités que possible. Même ainsi, le manque de communication se fait sentir, et le méta réprimé refait surface : certains joueurs tentent soudain de sortir des rails devenus trop visibles tandis que d’autres font exploser les barreaux de leur prison et le reste du monde avec.
Pour un jeu de rôle « impur »
Il est tout bonnement impossible dans une partie de jeu de rôle de tuer entièrement ce temps passé à discuter de la fiction. Plus que tout autre, notre loisir est par essence méta-fictionnel, c’est même ce qui fait sa force – à condition bien sûr de l’accepter. Certains jeux renforcent ainsi cet aspect et en font une composante essentielle du plaisir ludique. Dans Inflorenza, les conflits demandent aux personnes impliquées de mettre au clair les raisons qui les motivent sous la forme de phrase invoquées dans le but d’obtenir des dés supplémentaires. Des jeux comme Fiasco, Zombie Cinéma ou Prosopopée (ou Inflorenza, encore) permettent aux participants qui ne sont pas directement impliqués dans une scène de donner mécaniquement leur avis sur la tournure que prend la fiction tout en favorisant une certaine orientation.
Des jeux plus « traditionnels », avec meneur de jeu, peuvent également tirer profit du méta en laissant à chacun une grande influence sur la direction de la fiction : dans Burning Wheel par exemple, les joueurs sont invités à inscrire noir sur blanc les motivations de leurs personnages, afin que les autres participants en tiennent compte. Comme nous l’avons rapidement vu, les règles explicites de tout jeu de rôle sont de toute façon déjà une forme de réflexion méta-fictionnelle sur laquelle les participants se sont mis d’accord avant de jouer – pour peu que le meneur de jeu ne décide pas tout seul dans son coin de tricher au nom de l’intérêt supérieur de la partie.
Avertissement
Je terminerai cet article sur la mise en garde de rigueur : pour qu’il y ait méta-fiction, il faut qu’il y ait fiction. Les excès décrits plus haut sur les meneurs de jeu voulant à tout prix supprimer la moindre réflexion hors-jeu ont leur pendant dans les tables où la plus petite unité de fiction se voit instantanément étouffée par plusieurs dizaines de minutes de discussion hors-jeu. C’est notamment ce phénomène qui domine dans les scénarios dits « d’enquête » où les joueurs passent plus de temps à réfléchir à l’énigme qu’à incarner un personnage ou vivre quoi que ce soit.
Quelques liens pour aller un peu plus loin :
Mon article sur le rire méta comme élément essentiel de la pratique du jdr.
Parce que même si je n’en parle pas spécifiquement ici, ces réflexions sont aussi dues au travail de Romaric Briand sur le Maelstrom, je vous renvoie à son livre et à son court article C’est quoi le Maelstrom ? C’est quoi ce livre ?
Une présentation d’Inflorenza par son auteur, Thomas Munier.
[…] Féasson, « Le jeu de rôle, art méta-fictionnel par excellence », sur vivienfeasson.com, 17 août […]